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Choux de Siam
5 juin 2006

Outre de l'agresser...

Outre de; grammaire française; syntaxe du français.

  • Car [...] pouvait-on, dans un tel cas, imaginer pire?
    Oui, vient de rétorquer la juge Lise Côté, de la Cour d'appel : outre de l'agresser [sexuellement], le père aurait pu «bâillonner, menacer, frapper l'enfant». (Josée Boileau.)

On trouve aisément, dans les dictionnaires généraux et les ouvrages de difficultés, des exemples d'emploi de la préposition outre avec un nom ou un pronom :

Outre leurs photographies, les deux jeunes gens avaient échangé leurs confidences. (Romains, dans le Petit Robert.)

Outre leurs enfants et une cousine, ils logent une amie de la famille. (Lexis.)

Outre son salaire, il a un pourcentage sur les bénéfices. (Girodet.)

La vérité scientifique veut qu'on avoue son ignorance et qu'on conclue qu'il y a, outre ce qu'on sait, d'autres conditions qui nous échappent... (Cl. Bernard, dans le Trésor de la langue française informatisé.)

On rencontre aussi la locution prépositive en outre de - «inutile et critiquée, mais bien installée dans le meilleur usage», selon Hanse et Blampain. Le Petit Robert la consigne d'ailleurs sans réserves :

En outre de la modique pension qu'il touchait, il continuait de récolter quelques petites sommes. (R. Rolland.)

Aucun des douze ouvrages que j'ai consultés, cependant, ne reçoit la locution outre de. Dans la phrase à l'étude, j'emploierais simplement outre : ... outre l'agresser, le père aurait pu...

À vrai dire je n'ai pas vu d'exemple de cette préposition introduisant un infinitif, mais cette construction ne me choque pas. On pourrait sans doute la remplacer par la locution conjonctive outre que suivie d'un verbe conjugué : ... outre qu'il l'a agressée, le père aurait pu «bâillonner, menacer, frapper l'enfant». J'avoue ma préférence pour la formulation précédente, plus légère.

Line Gingras

«Justice désincarnée» : http://www.ledevoir.com/2006/06/03/110798.html

4 juin 2006

Une menace à l'économie

Une menace à quelque chose; a threat to something; grammaire française; syntaxe du français; calque de l'anglais.

  • Ils décident de présenter cette pandémie comme une menace à l'économie, à la stabilité des régimes, à la sécurité mondiale. (Gil Courtemanche.)

Est-il correct d'introduire par la préposition à le complément désignant la personne ou la chose visée par une menace, au sens de «danger»?

Il n'y a rien à ce sujet dans les ouvrages de difficultés. J'ai trouvé un seul exemple utile dans les dictionnaires généraux :

La hausse des prix constitue une menace pour l'économie nationale. (Lexis.)

Je me demande si la construction une menace à quelque chose ne serait pas attribuable à l'influence de l'anglais; le grand Webster donne en effet ces deux exemples :

The crumbling cliff was a constant threat to the village below.
Economic depressions constitute a major threat to party hegemony. (Ewing.)

Plus encore, le Robert & Collins Super Senior propose de traduire It is a grave threat to civilization de l'une ou l'autre des façons suivantes :

Cela constitue une sérieuse menace pour la civilisation.
Cela menace sérieusement la civilisation.

Il me semblerait donc souhaitable de modifier quelque peu la phrase à l'étude :

Ils décident de présenter cette pandémie comme une menace pour l'économie, la stabilité des régimes, la sécurité mondiale.

Ils décident de présenter cette pandémie comme mettant en danger l'économie, la stabilité des régimes, la sécurité mondiale.

Line Gingras

«25 ans de sida» : http://www.ledevoir.com/cgi-bin/ledevoirredir.cgi?http://www.ledevoir.com/2006/06/03/110768.html

1 juin 2006

Ces derniers

Ce dernier; ces derniers.

  • Afin de se doter d'une profondeur stratégique jugée essentielle à sa survie, les dirigeants du Pakistan ont nourri, armé, épaulé les talibans dès les années 80. Si, côté cour, ces derniers assurent partager les vues de Washington, côté jardin ils ferment les yeux. (Serge Truffaut.)

Les talibans assurent partager les vues de Washington? Au contraire : les talibans sont les ennemis déclarés des Américains. Chacun sait cela, je le concède; n'empêche, il serait souhaitable que le lecteur d'un éditorial n'ait pas à rétablir les faits.

Ce dernier ou ces derniers, voilà une expression très utile pour éviter une répétition et favoriser la clarté - à condition qu'elle renvoie bien au dernier élément ayant le genre et le nombre correspondants.

La faute est fréquente. On ne se relit jamais assez...

Line Gingras

«Le maire de Kaboul» : http://www.ledevoir.com/2006/05/31/110407.html

31 mai 2006

Choisir entre une chose ou une autre

Entre une chose ou une autre; entre une chose et/ou une autre; choisir entre une chose et/ou une autre; grammaire française; syntaxe du français.

  • Lors des prochaines élections, les Québécois auront à choisir entre le courage de la saine gouvernance ou les déchirements d'une nouvelle campagne référendaire, a lancé le premier ministre Charest dimanche à Sainte-Marie-de-Beauce. (Michel David.)

La préposition entre «indique un ensemble dont fait partie un être ou une chose que l'on distingue», d'après le Lexis :

Entre deux routes offertes, il eut cette impression vague d'avoir choisi la mauvaise... (Bernanos, dans le Lexis.)

Hésiter, choisir entre plusieurs solutions. (Petit Robert.)

C'est dire qu'ils ont suivi des chefs, qu'ils ont choisi entre deux politiques, qu'ils ont pris parti contre la collaboration... (Mauriac, dans le Trésor de la langue française informatisé.)

Les onze ouvrages que j'ai consultés - aux articles «entre», «choisir» et «choix» - n'abordent pas le problème de la conjonction de coordination; cependant, il me semble que c'est la conjonction et, plutôt que ou, qui convient pour exprimer l'idée que des éléments s'ajoutent l'un à l'autre (ou les uns aux autres) de manière à constituer un ensemble à l'intérieur duquel on choisit. Les exemples recueillis dans le Trésor paraissent confirmer cette opinion :

Hésiter entre la crainte et l'espérance.

... l'âme aurait à faire son choix entre Dieu et le mal. (Green.)

Je proposerais donc de modifier la phrase à l'étude de l'une ou l'autre des façons suivantes :

... les Québécois auront à choisir entre le courage de la saine gouvernance et les déchirements d'une nouvelle campagne référendaire...

... les Québécois auront à choisir soit le courage de la saine gouvernance ou les déchirements d'une nouvelle campagne référendaire...

Line Gingras

«Le courage de gouverner» : http://www.ledevoir.com/2006/05/30/110348.html?338

30 mai 2006

Think tank? Non, merci

Think tank; anglicisme; concordance des temps; coordination d'éléments appelant des prépositions différentes; la proposition relative explicative et la virgule; grammaire française; syntaxe du français; ponctuation.

  • M. Kelly-Gagnon adhère, lui, aux préceptes véhiculés par un réseau de think tanks conservateurs (dont fait partie l'Institut économique de Montréal_ que M. Kelly-Gagnon présidait jusqu'à sa récente nomination au CPQ). Ces think tanks se citent mutuellement, souvent au mépris de ce que nous apprend la recherche scientifique... (Michel Venne.)

Think tank est un terme à la mode, mais l'idée me paraîtrait tout aussi bien rendue par un équivalent français : René Meertens propose groupe/cellule/club de réflexion, groupe d'experts, institut; dans Termium, je vois notamment groupe/équipe d'analystes/de spécialistes/d'intellectuels, centre d'études et de recherches; dans le Grand dictionnaire terminologique, je relève encore laboratoire d'idées.

Je signale par ailleurs qu'il faudrait une virgule après l'Institut économique de Montréal : comme il s'agit d'un établissement unique, la proposition relative qui suit est dite «explicative», c'est-à-dire non nécessaire à la compréhension de la phrase. (J'ai déjà traité de cette question ici.)

* * * * *

  • Lorsqu'il prit sa retraite après 28 années à la présidence du Conseil du patronat, en 1997, Ghislain Dufour s'était réjoui de voir les chefs d'entreprise participer plus volontiers aux débats publics.

Le second fait n'est pas antérieur au premier; il faut donc mettre les deux sur le même plan :

Lorsqu'il a pris sa retraite [...], Ghislain Dufour s'est réjoui...

Lorsqu'il avait pris sa retraite [...], Ghislain Dufour s'était réjoui...

Au moment de prendre sa retraite [...], Ghislain Dufour s'était [ou s'est] réjoui...

* * * * *

  • La garde montante de Québec inc. étant elle-même issue et intégrée à la communauté francophone, les patrons comprenaient la société et partageaient ses valeurs.

La garde montante était issue de la communauté francophone. Je proposerais donc :

La garde montante de Québec inc. étant intégrée à la communauté francophone, dont elle-même était issue, les patrons comprenaient...

(Pour des explications détaillées, voir les autres billets traitant de problèmes de coordination.)

* * * * *

  • Le discours idéologique qu'il défend, désormais au nom des patrons, n'est malheureusement pas propice à la concertation. Le lien de confiance avec les autres acteurs de la société sera difficile à rétablir et favorisera une radicalisation des opposants.

De toute évidence, ce n'est pas le lien de confiance qui favorisera une radicalisation des opposants, mais plutôt un certain discours idéologique, ou la difficulté de rétablir un lien de confiance.

* * * * *

  • Les mouvements sociaux savent mobiliser l'opinion publique, et les attentes envers les entreprises sont grandes. Il leur faut désormais adopter des comportements responsables envers l'environnement, les droits de la personne et la qualité des emplois.

Pour éviter la répétition :

... les attentes à l'égard des entreprises...

... des comportements responsables en ce qui concerne l'environnement...

Line Gingras

«Patronat et société» : http://www.ledevoir.com/2006/05/29/110235.html?338

28 mai 2006

Place du complément du verbe

Complément du verbe; ordre des éléments dans la phrase; syntaxe du français; style.

  • Il faut relire à ce sujet l'article très pertinent de Christian Rioux sur ce que pensent maintenant les historiens les plus chevronnés de la France de cette démarche. (Gil Courtemanche.)

Cette phrase n'est pas incorrecte, mais on pourrait l'améliorer.

À la première lecture, on hésite un instant sur l'élément auquel se raccroche le complément de cette démarche : on lit d'abord la France de cette démarche, avant de se rendre compte, très vite il est vrai, que cela ne tient pas.

Pour dissiper cette équivoque momentanée, il suffirait que le complément soit rapproché du verbe auquel il se rattache :

Il faut relire à ce sujet l'article très pertinent de Christian Rioux sur ce que pensent maintenant de cette démarche les historiens les plus chevronnés de la France.

La phrase paraît plus claire, mais aussi mieux équilibrée, puisque l'élément qui la termine, le groupe sujet les historiens les plus chevronnés de la France, est nettement plus long que le syntagme qui vient d'être déplacé. Marcel Cressot dirait sans doute que ces éléments se trouvent ainsi disposés par masses croissantes, ce qui correspond à une tendance caractéristique de la phrase française*.

Line Gingras

* Voir Le style et ses techniques, page 218.

«Le laboratoire scolaire» : http://www.ledevoir.com/2006/05/27/110160.html

27 mai 2006

Un idole : bon chic, bon genre?

Idole; un ou une idole; un idole, une idole; genre du nom idole.

C'est toi mon idole (chouchou, chouchou)
C'est toi qui fais battre mon coeur*...

Ne m'en veuillez pas, la tentation était trop forte :

  • On n'a pas tous comme gourous François Gourd, leur pape issu du baby-boom et du Parti rhinocéros, ou Jean Leloup, leur idole multidisciplinaire «retraité_», dont ils attendent impatiemment le prochain CD. (Josée Blanchette.)

Mesdames, de grâce, profitons-en! Idole, comme vedette, est un nom féminin.

Line Gingras

* Chanson de Donald Lautrec : http://www.frmusique.ru/texts/l/lautrec_donald/cesttoimonidole.htm

«C'est la vie! - Comment rater le virage adulte» : http://www.ledevoir.com/2006/05/26/110018.html

26 mai 2006

Déambuler une rue

Déambuler; déambuler une rue; déambuler, verbe transitif ou intransitif; grammaire française; syntaxe du français; vocabulaire.

  • Que de souvenirs qui défilent dans ma tête alors que, sur mon vélo, je déambule cette rue. (Claude Chiasson.)

Déambuler, c'est «marcher sans but précis, selon sa fantaisie» (Petit Robert; c'est moi qui souligne); verbe intransitif, il n'admet pas de complément d'objet direct :

Nous devisions en déambulant au long des trottoirs. (Duhamel, dans le Petit Robert.)

Faut recommencer à déambuler entre les baraques. (Céline, dans le Lexis.)

Nous déambulions toutes les nuits à travers de lointains quartiers. (Carco, dans le Lexis.)

Le Trésor de la langue française informatisé signale qu'il peut s'employer, par extension, avec un sujet désignant une chose qui se déplace :

Le véhicule qui déambulait était une véritable [...] automobile fonctionnant au pétrole. (P. Rousseau.)

Il reste que les êtres humains, eux, ne déambulent qu'à pied.

Line Gingras

«Des bouffeurs d'électrons à rabais» : http://www.ledevoir.com/2006/05/24/109850.html?338

24 mai 2006

Coordination et changement de préposition

Coordination et prépositions; grammaire française; syntaxe du français.

  • Au final, ce sont rarement les membres du régime visé qui trinquent, mais tout le reste de la population. Cette dernière ne sera pas portée, ou n'aura pas les moyens, de le reprocher à ses dirigeants, mais se ralliera plutôt à eux contre l'agresseur étranger. (Éric Desrosiers.)

La population n'a pas les moyens de blâmer ses dirigeants, mais elle n'est pas portée non plus à leur faire des reproches. Les deux éléments coordonnés - avoir les moyens et être porté - ne se construisent pas de la même manière; il est donc préférable de ne pas leur attribuer un même complément*.

Première solution : placer le complément après l'un des deux éléments, et employer avec l'autre un pronom de rappel :

Cette dernière n'aura pas les moyens de le reprocher à ses dirigeants, ou ne sera pas portée à le faire, mais se ralliera plutôt à eux contre l'agresseur étranger.

J'ai inversé l'ordre des éléments de manière à éloigner le substantif moyens du pronom eux.

Deuxième solution : substituer à l'un des deux éléments un équivalent qui se construit de la même façon que l'élément restant, ou remplacer les deux :

Cette dernière ne voudra pas - ou n'osera pas - le reprocher à ses dirigeants, mais se ralliera plutôt à eux contre l'agresseur étranger.

Line Gingras

* Voir aussi : http://chouxdesiam.canalblog.com/archives/2006/04/02/1389227.html

«Perspectives - Comment faire la guerre sans se faire mal?» : http://www.ledevoir.com/2006/05/23/109750.html?338

23 mai 2006

Une personne de mes connaissances

De mes connaissances; de ma connaissance; usage.

  • Cette semaine, un homme de mes connaissances a confié avoir connu «un drame». (Denise Bombardier.)

Le mot connaissance peut désigner une personne que l'on connaît :

Le maire est une de ses connaissances. (Multidictionnaire.)

Un ami, c'est beaucoup dire. Une ancienne connaissance tout au plus. (Duhamel, dans le Lexis.)

Cet homme est une vieille connaissance que j'ai retrouvée avec plaisir. (Hanse et Blampain.)

J'ai relevé par ailleurs la locution adjectivale de connaissance, signifiant «que l'on connaît», «bien connu» :

Se trouver en pays de connaissance.

Une personne, un visage de connaissance. (Petit Robert.)

Il était d'usage, à la sortie de la messe «du château» - la messe chic - de stationner dans la cour d'honneur, et d'y saluer les personnes de connaissance. (Martin du Gard, dans le Trésor de la langue française informatisé.)

Dans le même ordre d'idées, le Petit Robert et le Trésor consignent le tour de (+ adjectif possessif) connaissance :

Ce n'est pas quelqu'un de ma connaissance. (Petit Robert.)

Dix ou douze personnes de ma connaissance ont eu de longues fièvres intermittentes. (Brillat-Savarin, dans le Trésor.)

Je n'ai vu cette expression qu'au singulier.

* * * * *

  • S'éloigner du sens des mots, c'est également se rapprocher de l'insignifiance, c'est devenir insensé. En sursaturant le discours d'épithètes et d'adverbes, on contribue hélas à vider les mots de leur sens, une autre façon de mettre en échec la pensée. Quant on trouve tout «effrayant», où alors se trouve l'effroi?

Elle n'a pas tort, madame Bombardier - quoique effrayant soit admis, dans le Petit Robert, au sens d'«extraordinaire, extrême» (cet emploi est donné comme familier); ajoutons qu'il faut être attentif à ne pas confondre quand et quant.

Line Gingras

«L'outrance verbale» : http://www.ledevoir.com/2006/05/20/109669.html

21 mai 2006

L'apocalypse environnemental

Apocalypse, masculin ou féminin; un ou une apocalypse; genre du nom apocalypse.

  • ... une civilisation [...] dont le mode de vie préparerait l'apocalypse environnemental_. (Antoine Robitaille.)

Apocalypse est un nom féminin :

Une terrifiante apocalypse. (Multidictionnaire.)

Oui, je l'avoue, mon premier soin a été de vérifier ce détail, en dépit de la gravité du sujet. On fait ce qu'on peut...

Line Gingras

«Le choc des cultures» : http://www.ledevoir.com/2006/05/20/109724.html
Légende de photographie parue à la une du journal : http://www.ledevoir.com/2006/05/20/index.html

20 mai 2006

Ne pas avoir le choix de + infinitif

Choix; ne pas avoir le choix de + infinitif; n'avoir d'autre choix que; to have no choice but to; grammaire française; syntaxe du français.

  • Le ministère de l'Éducation n'avait donc pas le choix de revoir les exigences... (Josée Boileau.)

Aucun des neuf ouvrages de difficultés que j'ai consultés ne parle de l'expression ne pas avoir le choix de + infinitif. Je constate toutefois, d'après ce que je lis dans le Petit Robert, le Lexis, le Multidictionnaire et le Trésor de la langue française informatisé, qu'avoir le choix (qui signifie «avoir la liberté, la possibilité de choisir») peut s'employer ou bien seul, ou bien avec un nom complément :

Je n'ai pas le choix. (Multidictionnaire.)
Vous avez le choix des armes... (A. Dumas père, dans le Trésor.)

Je déconseillerais donc d'utiliser ne pas avoir le choix de + infinitif (cette construction, absente des dictionnaires, introduit non pas des choses ou des personnes entre lesquelles on n'a pas la liberté de choisir, mais l'obligation de faire une chose précise, ce qui paraît incompatible avec le sens du mot choix). Serait-il possible, cependant, de remplacer n'avait pas le choix de revoir par n'avait d'autre choix que de revoir? J'ai déjà étudié le tour n'avoir d'autre choix que, dans un billet rédigé pour La plume heureuse; je vous invite à vous y reporter pour un examen des différentes acceptions du mot choix (et pour une courte visite à Venise).

Le Robert & Collins Super Senior, comme traduction de He had no choice but to obey, propose Il ne pouvait qu'obéir. La phrase qui nous intéresse pourrait être reformulée de plusieurs façons; entre autres :

Le ministère de l'Éducation ne pouvait donc que revoir les exigences...

Le ministère de l'Éducation était donc forcé de revoir les exigences...

Le ministère de l'Éducation n'avait donc pas le choix : il lui fallait revoir les exigences...

Line Gingras

«Une filière à suivre» : http://www.ledevoir.com/2006/03/18/104689.html

19 mai 2006

Légitimer l'Iran à vouloir...

Légitimer quelqu'un à + infinitif; légitimer quelqu'un à faire quelque chose; une proposition à + infinitif; grammaire française; syntaxe du français.

  • La principale menace terroriste m'apparaît plutôt venir de la politique de frappe préventive - même nucléaire - adoptée par Washington en 2004, qui menace la stabilité internationale et qui légitime l'Iran à vouloir se protéger en enrichissant de l'uranium en vue d'acquérir l'arme nucléaire. (Denys Duchêne.)

Même si les exemples que l'on trouve dans les dictionnaires évoquent une société qui semble à des années-lumière de la nôtre, le verbe légitimer peut se construire avec un complément d'objet direct désignant une personne :

Légitimer un souverain.
Légitimer un enfant naturel.

Le complément direct peut aussi désigner une chose :

Légitimer un geste, une cause. (Multidictionnaire.)

... les inventeurs accourent faire légitimer leurs découvertes. (Balzac, dans le Trésor de la langue française informatisé.)

En rendant des services, dont le plus apprécié était la défense de la sécurité publique, le seigneur féodal légitima son usurpation. (Bainville, dans le Trésor.)

Je me tuais en explications pour légitimer ma conduite. (Gide, dans le Petit Robert et le Lexis.)

Mais qu'en est-il de la construction qui nous intéresse, légitimer quelqu'un (l'Iran étant une personne morale) à + infinitif?

Les ouvrages de difficultés (j'en ai consulté sept) n'en font pas mention, mais je ne la trouve pas non plus dans les dictionnaires généraux. Je pense donc que le verbe légitimer n'admet pas d'objet second; il conviendrait à mon avis de le remplacer, ici, par inciter, motiver, pousser ou, mieux sans doute, justifier - ce dernier peut se construire avec à comme avec de, selon le Trésor, au sens de «donner à quelqu'un le droit de, des raisons de» :

C'est là le fond de la joie d'amour, lorsqu'elle existe : nous sentir justifiés d'exister. (Sartre, dans le Trésor.)

C'est ce respect et ce maintien de la légitimité républicaine qui nous ont justifiés et nous justifient à exercer le pouvoir pour conduire le pays dans la guerre. (De Gaulle, dans le Trésor.)

* * * * *

  • La réponse se trouve probablement ailleurs, dans une proposition concrète de l'ONU à inviter des troupes de pays musulmans, tels la Jordanie ou le Maroc, à prendre la relève avec double mandat offensif et défensif.

Chacun sait cela, que le complément du nom proposition doit se construire avec la préposition de, et non à; on peut comprendre, toutefois, que le journaliste ait voulu éviter un deuxième complément introduit par de. Comment résoudre la difficulté? J'emploierais un participe présent :

La réponse se trouve probablement ailleurs, dans une proposition concrète de l'ONU invitant des troupes de pays musulmans...

Line Gingras

«Libre opinion : Des raccourcis sur la présence militaire canadienne en Afghanistan» : http://www.ledevoir.com/2006/05/18/109460.html

18 mai 2006

Qui fait quoi?

On; pronom indéfini on; sujet représenté par on; infinitif; sujet implicite de l'infinitif.

  • Comment un couteau, perçu comme tel par n'importe quel être humain sensible et raisonnable, peut-il devenir, à travers le prisme de la Charte, un signe sacré dès lors qu'on l'enrubanne ou qu'on le glisse dans son fourreau au point d'en accepter l'usage par certains alors qu'on l'interdit formellement à tous les autres? (Denise Bombardier.)

Il faut veiller à ce que le pronom indéfini on représente toujours la ou les mêmes personnes, à l'intérieur d'un paragraphe et en particulier d'une phrase, de manière à éviter toute confusion.

Dans le passage à l'étude, on désigne cependant deux groupes : les sikhs, d'une part, et les juges de la Cour suprême, d'autre part. Et le lecteur se demande, en outre, quel peut être le sujet implicite du verbe à l'infinitif, accepter - ce n'est pas le on qui enrubanne le couteau ni qui le glisse dans son fourreau, même si la construction de la phrase et l'absence de virgule devant au point de le laissent croire un instant; ce ne saurait être non plus le couteau qui peut devenir un signe sacré, évidemment; mais quelle autre possibilité? Il ne reste que le on qui interdit, et qui, comme il vient après l'infinitif, n'est pas le premier auquel on pense...

Reformulation possible :

Comment un couteau, perçu comme tel par n'importe quel être humain sensible et raisonnable, peut-il devenir, à travers le prisme de la Charte, un signe sacré dès lors qu'on l'enrubanne ou qu'on le glisse dans son fourreau, au point où son usage sera permis à certains, et formellement interdit à tous les autres?

Line Gingras

«Le carcan» : http://www.ledevoir.com/2006/03/11/104094.html

17 mai 2006

Prévenir quelqu'un de + infinitif

Prévenir quelqu'un de + infinitif; grammaire française; syntaxe du français; impropriété; usage.

  • Ils préviennent finalement toutes les agences gouvernementales et les pays qui envisagent d'employer de telles méthodes d'évaluer sérieusement les politiques susceptibles de les accompagner... (Pauline Gravel.)

Prévenir quelqu'un de quelque chose, c'est le lui faire savoir, l'en informer, l'en avertir :

Il n'y a qu'à prévenir le notaire de ta visite... (Martin du Gard, dans le Trésor de la langue française informatisé.)

Préviens-la de notre retard. (Multidictionnaire.)

Il est venu le prévenir du changement intervenu en son absence. (Lexis.)

Prévenez-le que nous arriverons demain. (Petit Robert.)

Je vous préviens que mon grand-père fait mieux encore; il dit Buonaparté. (Hugo, dans le Trésor.)

Je vous préviens que je n'attendrai pas. (Hanse-Blampain.)

Aucun des onze ouvrages que j'ai consultés n'admet la construction prévenir quelqu'un de + infinitif. Aucun non plus n'attribue à prévenir le sens de recommander, qu'il me paraît avoir dans la phrase à l'étude :

Ils recommandent finalement à toutes les agences gouvernementales et aux pays qui envisagent d'employer de telles méthodes d'évaluer sérieusement les politiques susceptibles de les accompagner...

Line Gingras

«Arrêter un criminel grâce à l'ADN d'un proche parent» : http://www.ledevoir.com/2006/05/15/109261.html

14 mai 2006

Mettre en garde

Mettre en garde de + infinitif; sous examen; anglicisme; calque de l'anglais; grammaire française; syntaxe du français.

  • Présente hier au débat, la présidente de l'Ordre des psychologues du Québec, Rose-Marie Charest, a mis en garde le réseau de l'éducation de ne pas répéter les erreurs de la santé. (Marie-Andrée Chouinard.)
  • ... le ministre de l'Éducation, Jean-Marc Fournier, a mis en garde jeudi soir d'éviter de faire une règle générale de l'anecdote. (Même journaliste, même article, deux paragraphes plus loin.)

Je n'ai rien trouvé dans le Multidictionnaire ni dans le Hanse-Blampain, consultés aux articles «mettre» et «garde», sur l'expression mettre en garde. Toutefois, d'après ce que j'ai vu dans le Petit Robert, le Lexis et le Trésor de la langue française informatisé, on met quelqu'un en garde contre quelqu'un ou quelque chose, c'est-à-dire qu'on lui conseille d'adopter une attitude vigilante, de se montrer circonspect à l'égard de quelqu'un ou de quelque chose :

[Je] l'ai mise en garde contre la confusion du sacré et du profane. (Montherlant, dans le Petit Robert.)

Je la mettais justement en garde contre les tentations d'un milieu et d'une vie qui ne sont pas les siens. (Anouilh, dans le Lexis.)

Me mettant en garde contre mes idées généreuses. (Balzac, dans le Trésor.)

Je dois me mettre en garde contre [= me défier d'] un danger qui m'a toujours menacé. (Du Bos, dans le Trésor.)

Je pense donc qu'il aurait fallu étoffer la première phrase à l'étude, et reformuler en partie la seconde :

... la présidente [...] a mis en garde le réseau de l'éducation contre le danger de répéter les erreurs...

... le ministre de l'Éducation [...] a déclaré jeudi soir qu'il faut éviter de faire une règle générale de l'anecdote.

* * * * *

Je signale par ailleurs que Le Colpron donne pour anglicisme le tour sous examen (calque de under examination), utilisé dans le titre de l'article. On recommande de le remplacer par à l'examen; je crois cependant qu'il signifie plutôt, ici, remise en question.

Line Gingras

«La politique d'adaptation scolaire sous examen» : http://www.ledevoir.com/2006/05/13/109108.html

13 mai 2006

Coordination et déterminants

Déterminants et coordination; articles et coordination; grammaire française; syntaxe du français.

  • C'est d'ailleurs sur ce front que la bataille entre __ membres du Congrès et l'administration Bush s'annonce la plus vive. (Serge Truffaut.)

Grevisse, à la page 921 de la douzième édition du Bon usage, nous dit que «la langue littéraire construit [...] les noms sans déterminants dans des coordinations à deux termes» :

Dans la lutte des générations, enfants et vieillards font souvent cause commune. (Sartre.)

On vendit donc maison et champs. (Cl. Simon.)

On donne ainsi plus de vivacité à l'expression, bien qu'il soit tout à fait correct d'écrire :

... les enfants et les vieillards font souvent cause commune.

On vendit donc la maison et les champs.

J'ajouterai cependant que l'on n'écrirait pas :

On vendit donc __ maison et les champs.

Si le deuxième nom est précédé d'un déterminant, le premier doit l'être aussi :

C'est d'ailleurs sur ce front que la bataille entre les [ou certains/plusieurs, selon le sens] membres du Congrès et l'administration Bush s'annonce la plus vive.

Line Gingras

«La fronde des élus» : http://www.ledevoir.com/2006/05/09/108690.html

12 mai 2006

Un ou une échappatoire?

Un échappatoire, une échappatoire; échappatoire, masculin ou féminin; genre du nom échappatoire; des projets de loi ou des projets de lois; orthographe.

  • [...] il déposera une multitude de petits projets de loi [...] ne laissant aucun échappatoire aux partis d'opposition.
    (Hélène Buzzetti, dans Le Devoir du 10 mai 2006.)

Deux observations :

1. Échappatoire est un nom féminin :

Aucune échappatoire possible; aucun moyen de s'en tirer. (Gide, dans le Petit Robert.)

2. D'après le Jouette (à l'article « loi »), on écrit bien des projets de loi.

Il faudrait lire :

[...] il déposera une multitude de petits projets de loi [...] ne laissant aucune échappatoire aux partis d'opposition.

Line Gingras

« Perspectives - Tout ça pour ça » : http://www.ledevoir.com/2006/05/10/108801.html?338

9 mai 2006

Sclérose en plaque

Sclérose en plaque; sclérose en plaques; orthographe d'usage.

  • ... des personnes atteintes de sclérose en plaque_ ou de déficience immunitaire grave. (Christian Rioux.)

Le Petit Robert, le Multidictionnaire et le Trésor de la langue française informatisé, consultés aux articles «sclérose» et «plaque», ne donnent que la graphie sclérose en plaques.

Line Gingras

«La France, pionnière des PPP» : http://www.ledevoir.com/2006/05/08/108666.html

8 mai 2006

Rater de + infinitif

Rater de suivi d'un infinitif; rater de + infinitif; grammaire française; syntaxe du français.

  • Les lecteurs distraits ne ratent jamais de reprocher aux écrivains leurs obsessions. (Gilles Archambault.)

J'ai vu sept ouvrages de difficultés, qui ne disent rien sur le verbe rater; cependant, aucun des dictionnaires généraux que j'ai sous la main n'admet la construction rater de + infinitif. On trouve, bien entendu, le tour rater une occasion de + infinitif :

Tu ne rateras pas une occasion de lui rentrer dedans. (Mac Orlan, dans le Petit Robert.)

... il ne rate pas une occasion de l'humilier, parce qu'il n'est pas fort. (Aragon, dans le Trésor de la langue française informatisé.)

Dans la phrase qui nous intéresse, il aurait mieux valu, à mon avis, employer le verbe manquer :

Les lecteurs distraits ne manquent jamais de reprocher aux écrivains leurs obsessions.

* * * * *

  • À remarquer également la remarquable préface de Viviane Forrester.

Comment la rater...

Line Gingras

«La petite chronique - L'obsession de l'instant» : http://www.ledevoir.com/2006/05/06/108518.html

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