Se rapporter; se présenter; on va à Old Orchard.
- Ces joueurs devront se rapporter au camp des Bulldogs.
Ma première vue de la mer, c'est Old Orchard qui me l'a donnée.
Je dois avoir treize ou quatorze ans. C'est l'été, que je passe à vendre des fraises en rêvant du retour à l'école (j'en mange bien quelques-unes aussi, en attendant les framboises qui viendront dans quelques semaines - et les bleuets). Mon père, hier soir, est rentré fourbu et nous a annoncé la seule décision qu'il a dû prendre tout seul dans sa vie d'homme marié : à 4 h du matin, nous allions partir pour... ce que par souci de vérité toponymique j'appellerai Old Orchard.
Des heures et des heures plus tard, nous, les enfants dont je suis l'aînée, trouvons le chemin terriblement long. La nouveauté de la ligne jaune au milieu de la route, elle est épuisée. L'étrangeté des plaques
d'immatriculation, l'orthographe de «Mets sa chaussette» ont fait leur temps. Patience, on va arrêter pour une crème à glace. Et quand est-ce qu'on arrête pour une crème à glace? Ah! mais. Ah! mais il faut qu'il y ait un comptoir. Ah! mais il faut l'apercevoir à temps. Ah! mais ça serait meilleur de la molle. Ah! mais il faut rouler si on veut coucher à soir.
En plus, à chaque sortie d'autoroute, il se trouve plein d'enfants pour demander : est-ce qu'on est rendus, là? Non?
Moi, je ne dis plus rien : après les comptoirs de crème à glace et les étalages de souvenirs, je surveille les écriteaux. Or, voici que nous bifurquons et que la route, tout soudain, est bordée de motels. La voiture s'arrête. On est arrivés, annoncent mes parents. Mais comment ça se fait? Je n'ai pas vu l'écriteau.
Ah! mais si. Sauf que moi, je cherchais «Le Lotcheur».
Ce vrai souvenir de mon premier voyage à Old Orchard, c'est la chronique de Jean Dion pour aujourd'hui qui me l'a rappelé. Alors que mon père, au Lotcheur, s'inquiétait de son commerce, Jean Dion, lui, se préoccupe, ou du moins il s'en préoccuperait peut-être si la saison était commencée, de ce que fabrique le Canadien en son absence.
Parce que oui, Jean Dion est bien allé à Old Orchard en fin de semaine, il a eu la gentillesse de me le confirmer. Entre chroniqueurs, hein.
Hem. Bon.
Donc, pendant que le journaliste laissait son regard vaguer sur les flots, que fabriquait le Canadien? - Il tenait son "gros camp", le Canadien, et se préparait à disputer dimanche soir un match hors concours, et commençait à sélectionner ses joueurs. C'est ce que je retiens d'une dépêche intitulée "Les huit premiers joueurs retranchés du camp d'entraînement", où je lis :
- Le Canadien a procédé à sa première réduction de personnel hier en cédant huit joueurs qui devront se rapporter au camp des Bulldogs de Hamilton, à compter de vendredi.
Se rapporter?
Le Petit Robert n'admet pas ce verbe au sens de "se présenter". Le Hanse-Blampain ne parle pas de la question; cet emploi est néanmoins signalé comme anglicisme dans tous les ouvrages canadiens que j'ai consultés, soit le Multidictionnaire, le Dagenais, le Colpron et le Chouinard. Et René Meertens propose plusieurs façons de rendre to report, selon le contexte - mais se rapporter ne figure pas au nombre des équivalents.
Les huit joueurs vont donc se présenter au camp des Bulldogs.
Line Gingras
Un site sur Old Orchard : http://www.proseandphotos.com/old_orchard_beach.htm
"À Old Orchard" : http://www.ledevoir.com/2005/09/20/90756.html?339
"Les huit premiers joueurs retranchés du camp d'entraînement" : http://www.ledevoir.com/2005/09/20/90760.html