En tout respect; sauf votre respect; sauf le respect que je vous dois; avec le respect que je vous dois; with respect; with due respect; with all due respect; with the greatest respect; pardonnez-moi l'expression; sans vouloir vous contredire; sans vouloir vous offenser; rupture de construction; sujet de l'infinitif; agent de l'infinitif; élément incident; syntagme prépositionnel.
- En tout respect pour l'ancien premier ministre, son forfait de 1995 n'a pas dû peser bien lourd dans la balance. (Michel David.) [Il s'agit de Pierre Marc Johnson, ancien chef du Parti Québécois, et de sa neutralité lors du référendum de 1995.]
Je n'ai pas trouvé l'expression en tout respect dans la quinzaine de dictionnaires et d'ouvrages de difficultés que j'ai consultés*. Elle semble cependant d'un emploi courant chez les parlementaires canadiens, d'après ce qu'on peut lire dans les comptes rendus des débats de la Chambre des communes; les députés francophones l'utilisent, tout comme les traducteurs :
- Monsieur le Président, en tout respect pour la proposition du Bloc Québécois, je crois que nous avons l'obligation [...] (Jacques Saada.)
- With all due respect, there are many sexual perpetrators on the street right now. (Joy Smith.)
- En tout respect, je dirai que de nombreux prédateurs sexuels sont en liberté à l'heure actuelle. (Traduction.)
- With all due respect for the hon. member of the opposition, it is hard not to be cynical and to question the real motivation behind this motion. (Murray Calder.)
- En tout respect pour le député de l'opposition, il est difficile de ne pas se montrer cynique et de ne pas s'interroger sur le motif réel de cette motion. (Traduction.)
L'auteur du Guide anglais-français de la traduction, René Meertens, propose de rendre with all due respect par sans vouloir vous offenser. Le Robert & Collins Super Senior donne comme équivalents sans vouloir vous contredire ou sauf votre respect.
Ce dernier tour figure évidemment dans les dictionnaires de langue, de même que sauf le respect que je vous dois. Certains ouvrages de difficultés signalent toutefois que ces deux expressions relèvent de la langue familière, voire populaire. Hanse et Blampain les admettent sans formuler de réserve; on les emploie "pour s'excuser d'une parole qui pourrait choquer". Ils ajoutent néanmoins que l'on dit souvent : Pardonnez-moi l'expression.
Mais revenons sur les tours avec deux verbes à l'infinitif, sans vouloir vous contredire et sans vouloir vous offenser. Si l'on avait recours à ce genre d'expression dans la phrase à l'étude, n'y aurait-il pas rupture de construction, l'agent des infinitifs n'étant pas le même que le sujet de la proposition principale ("forfait")?
Sans vouloir offenser [ou sans vouloir dénigrer, sans vouloir rabaisser] l'ancien premier ministre, son forfait de 1995 n'a pas dû peser bien lourd dans la balance.
J'ai découvert de quoi me rassurer aux paragraphes 371 et 372, f du Bon usage (douzième édition) : nous avons ici affaire à un "élément incident", c'est-à-dire à une "espèce de parenthèse par laquelle celui qui parle ou écrit interrompt la phrase pour une intervention personnelle". Cet élément peut prendre la forme d'un syntagme prépositionnel (groupe de mots introduit par une préposition) contenant un verbe à l'infinitif :
Le citoyen ainsi défini est à la fois "législateur et sujet", pour parler comme Kant. (Bergson.)
"L'agent de cet infinitif étant le locuteur [celui qui parle ou écrit], précise Grevisse, il est souvent différent du sujet de la phrase ou de la proposition."
Bon! en ce qui me concerne, la question est réglée : je conseillerais de remplacer en tout respect, employé pour atténuer l'expression d'un désaccord ou d'une opinion qui pourrait choquer, par des tours comme sans vouloir contredire, sans vouloir offenser, sans vouloir dénigrer, sans vouloir rabaisser ou pardonnez-moi l'expression, selon le contexte.
Line Gingras
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"Le coup de Jarnac" : http://www.ledevoir.com/2005/11/26/96242.html