Site; jouer de l'ours; jeu de l'ours; jouer à la tague; to play tag; Robert Auclair; ASULF; Association pour le soutien et l'usage de la langue française.
Nous marchions d'un pas allègre, Léone et moi, vers la rue Saint-Louis et les délices des Fêtes de la Nouvelle-France, qui nous attendaient dans tout le Vieux-Québec, lorsqu'elle s'est arrêtée au beau milieu d'une phrase.
Elle venait de mentionner les sites où se dérouleraient différentes activités. «Ah! c'est sûrement pas correct. J'ai l'impression d'entendre monsieur Auclair me dire que site, c'est un anglicisme au sens de emplacement.»
Monsieur Auclair, c'est un ancien juge dont elle a été la secrétaire. Passionné de questions de langue, soucieux de préserver et d'améliorer la qualité du français dans les médias et les organismes publics, il est président de l'Association pour le soutien et l'usage de la langue française (ASULF), qui a mené déjà de nombreuses campagnes visant à faire remplacer des usages fautifs par des termes corrects.
Et à propos du mot site, je lis en effet, dans le Multidictionnaire, qu'il s'agit d'un «anglicisme au sens de emplacement (d'un établissement, d'une entreprise, etc.)», de même qu'au sens de lieu.
Mais poursuivons notre promenade, sans quoi nous n'aurons pas le temps de faire un peu le tour des centres d'intérêt, et puis d'aller au souper organisé à Place-Royale par l'Union des producteurs agricoles, et enfin de remonter prendre la navette pour les chutes Montmorency (nous retournons aux Grands Feux, voir le spectacle de l'Allemagne).
Monsieur Auclair, me raconte Léone, l'a beaucoup habituée à surveiller son français. Mais un jour, c'est elle qui lui a appris quelque chose! On venait d'attribuer au juge un nouveau bureau, que sa secrétaire avait visité avant qu'il ne le voie. «Et puis, comment c'est? lui a-t-il demandé à la première occasion. - Assez grand pour qu'on puisse y jouer de l'ours (prononcé «lour»). - Quossé ça?»
Non, évidemment je plaisante, monsieur Auclair n'a pas dit quossé ça, ni quossa mange en hiver, mais vous voyez où je veux en venir : comme moi - comme la plupart des Québécois, sûrement -, il n'avait jamais entendu parler du jeu de l'ours, que connaissaient bien les anciens de Charlevoix, m'assure Léone, et dont se souviennent encore, paraît-il, les gens du Saguenay.
Pourtant moi aussi je l'ai pratiqué, ce jeu, comme monsieur Jourdain faisait de la prose, puisque jouer de l'ours, cela signifie jouer à la tague (prononcé, dans le p'tit rang croche, «jouer à' taïe»), calque de to play tag.
Et vous autres itou, qui me lisez de l'autre côté de l'Atlantique, vous vous y êtes exercés, à en perdre le souffle : car il ne se peut, me semble, que vous n'ayez jamais joué au chat.
Line Gingras